Pourquoi l'industrie de la laine disparait dans le Tarn ?
Ubac est parti à la rencontre des acteurs de la laine dans le Tarn. Pour commencer notre tour d'horizon, nous nous sommes penché sur le contexte et les raisons historiques de la présence et du déclin d'une forte activité industrielle textile dans le Tarn.
Notre équipe connaissait déjà assez bien ces procédés, mais quelque chose nous a frappé : les machines du XIXe siècle fonctionnent de la même manière que celles d’aujourd’hui. Mais alors, si rien n’a changé, comment expliquer le déclin de la laine française, en particulier dans le Tarn ? Nous essayerons d’apporter quelques éléments de réponse dans cet article.
Contexte
Pourquoi l’industrie lainière s’est déployée dans le Tarn ?
Pour faire de la laine, il faut plusieurs éléments : des moutons, un savoir-faire, des rivières, des teintures à proximité, une bonne situation géographique.
Dès le XVIème siècle, il y a une forte activité drapière dans le Tarn : la spécialité est la laine cardée (le cardage est une des étapes de transformation de la laine. Cela consiste à passer la matière dans une carde pour l’étirer et la démeler avant de la tisser. Le mot carde vient du chardon : on mettait les fleurs piquantes sur de gros rouleaux pour travailler la laine), cette activité se développera d’autant plus à la fin du XVIIe siècle avec l’influence de Colbert.
La rivière
Pour développer une activité lainière, il faut aussi une rivière. Quand on regarde le village sur une carte, on remarque plusieurs ruisseaux, ainsi qu’une rivière qui passe juste à côté du musée : le Thoré.
La présence d’un cours d’eau était essentielle pour faire fonctionner les moulins à foulons (ces moulins servaient à dégraisser la laine et à l’assouplir avant de la travailler en la battant avec de l’argile) avant la mécanisation.
Les plantes et la situation géographique
Pour expliquer le développement de la laine dans le Tarn, on peut aussi citer la présence de trois plantes importantes qui se trouvaient à proximité et qui servaient à la teinture : la garance (photo), qui venait du comté avignonnais, le pastel, qui venait de l’albigeois, et le réséda du teinturier.
Pour finir, le Tarn se situe idéalement entre Bordeaux et Marseille, favorisant les échanges commerciaux.
L'entrée dans l'âge d'or
Toutes ces raisons expliquent le développement de l’activité lainière dans le Tarn. À partir de 1820, la première machine mécanique (merci la révolution industrielle et les anglais) arrive à Labastide.
C’est alors que s'accélère la production textile : mode femme et homme, habillement civil et militaire… On entre dans l’âge d’or du textile Tarnais.
Des principes inchangés
Au musée, nous avons pu voir que les principes des machines n’ont pas changé depuis l’arrivée de la mécanisation. Quand on compare une carde, une machine à filer ou encore un métier à tisser du XIXème siècle et une machine actuelle, on se rend compte que la base est restée la même.
Seuls changements notables : la vitesse de production et les énergies ne sont plus les mêmes, ce qui constitue un bon faisceau d'indices pour comprendre le déclin de la laine tarnaise.
Après l'apogée, le déclin
Apogée
Dans les années 1950, l’activité industrielle de Labastide est à son apogée.
De manière générale, les grands patrons ont mis en place des avantages sociaux et une vie importante autour des filatures (photo), qui emploient la moitié des habitants du village. Le but était de fidéliser les employés qui détenaient souvent des secrets de fabrication et un grand savoir-faire.
Déclin
Dans les années 1970, on assiste au déclin de l’industrie française en général.
Dans le village, on cherche à maintenir l’activité via des luttes sociales ou des grèves qui n’aboutissent pas. Julia et Katia nous expliquent que ce souvenir est douloureux pour la population de Labastide. Mais alors, quelles raisons expliquent ce déclin ?
Les textiles changent.
Depuis les années 50, les textiles de synthèse prennent une majorité des parts de marché.
Aujourd’hui, moins de 2% des tissus sont en laine. Cela entraîne une baisse de la demande en laine et freine la production du Tarn.
Le prêt à porter se démocratise.
Avec la multiplication des vêtements, ces derniers perdent de leur valeur.
Julia nous explique que, d’antan, les textiles étaient des biens précieux qui se retrouvaient dans les inventaires, les trousseaux de mariages ou encore les testaments. Ces produits étaient chers, rares, et représentaient un capital économique important.
La production se standardise et s'intensifie
Avec le prêt à porter, les tailles se standardisent, les quantités de production augmentent, obligeant à baisser les coûts de fabrication, ce qui n’est pas forcément possible lorsqu’on paie ses employés décemment, comme dans le Tarn.
Ces éléments entraînent une délocalisation massive des usines dans des pays moins regardant sur le salaire des travailleurs.
Les licenciements augmentent
L’amélioration des performances des machines implique aussi qu’il y a moins besoin de travailleurs pour produire.
Les entreprises se mettent alors à licencier un grand nombre de personnes, faisant baisser l’activité industrielle de la région.
La démocratisation du prêt-à-porter en matière synthétique, ainsi que toutes les causes citées précédemment ont entraîné la fermeture de la grande majorité des entreprises lainières du Tarn. Aujourd’hui, alors que les modes de consommation tendent à plus de minimalisme pour une meilleure qualité, qu’en est-il de la situation dans la région ?
Et aujourd'hui ?
Le textile en Europe a changé
Aujourd’hui en France et en Europe de manière générale, le secteur du textile se concentre sur les tissus techniques (militaire, médical, aéronautique…).
Cela implique beaucoup de recherche et développement. Julia nous explique que ce sont surtout les riches soyeux (les industriels ou négociants dans le domaine de la soie) de Lyon qui ont pu investir dans ce domaine.
Un constat plutôt optimiste
Aujourd'hui, à Labastide, on compte environ 1200 habitants qui se sont surtout reconvertis dans le domaine du bois et les métiers de service.
Julia et Katia, nos guides, sont plutôt optimistes : depuis 2 ans, elles constatent que les initiatives se multiplient, autant de la part des producteurs que du grand public : relocalisation de la filière du chanvre occitan, vente de textiles directement au consommateur ou encore innovation de la part des entreprises emblématiques du secteur, rien n’est perdu !
La survie de la filière lainière dans le Tarn est compliquée, mais certains acteurs sont toujours présents. Chez Ubac, nous travaillons notamment avec Pierre (photo), à la tête des tissages Calvet, et Fabrice, qui gère la filature du parc. Nous sommes allés à leur rencontre pour vous expliquer comment, chacun à leur manière, ils perpétuent le savoir-faire lainier du Tarn en adaptant leur travail aux enjeux actuels. Leurs portraits arrivent bientôt sur regard.