Rencontre : Fabrice et la filature de laine recyclée
On continue notre tour du Tarn. Après avoir décortiqué l’histoire de la laine dans la région, puis avoir découvert Jean-Michel, coloriste à la Filature Du Parc, on dézoom aujourd'hui sur cette entreprise locale et innovante et rencontre avec Fabrice, son directeur.
La Filature Du Parc
En 1975, le père de Fabrice reprend une filature qui avait fermé l’année précédente. Il possède le savoir-faire, en ayant déjà racheté une autre en 1968. Il réunit toutes les machines dans ses nouveaux locaux, et l’aventure se lance.
Pour son père, il reste quand même un défi à relever : gérer une entreprise en ayant peu d'expérience dans ce domaine. Même si c’était dans les “bonnes années”, Fabrice confie qu’il y avait des hauts et des bas.
Aujourd’hui, la Filature Du Parc est prospère, grâce aux investissements de Fabrice, qui sont intervenus lorsque la majorité de la filière Tarnaise a baissé les bras.
Une aventure périlleuse
Début et déclin
“Je suis tombé dedans quand j’étais petit, c’était mon terrain de jeu”. Fabrice a toujours vécu avec la filature : étant enfant, il jouait déjà à cache cache dans les balles de laine. Pour lui, travailler dans l’entreprise de son père était une évidence, il y est entré en 1985.
À ses débuts, il s’occupe de la partie technique : nettoyer et monter les machines, apprendre à les faire marcher... Après être passé par tous les postes, il reprend le poste de gérant. Apprendre à la base pour connaître tous les rouages était crucial : s'il n'avait pas fait tous ces métiers, il n’est pas sûr qu’il aurait mis au point le recyclage qui fait l’atout de son entreprise aujourd’hui.
Des années 1980 à 2000, c’est le déclin, et la Filature frôle le dépôt de bilan. La majorité du secteur textile se délocalise en Asie après l’abolition de l’éco-taxe. C’est à cette période que lui et ses équipes commencent à réfléchir à une façon de rebondir face à la concurrence chinoise. Ce salut se trouve dans le recyclage.
Le rebond par l'innovation
Avant de développer un fil 100% recyclé, Fabrice revalorise déjà. En remarquant que les façonniers de la région PACA perdent environ 30% de matière lors d’une production, il réintègre ces pertes dans de nouveaux fils :
“On faisait déjà des fils avec du recyclé, mais à hauteur de 15/20%, à l’époque c’était de l'effiloché et pas du recyclé.”
Cette méthode était peu aboutie et cachée, le recyclage étant vu comme péjoratif. Le pourcentage de matière revalorisée ne pouvait pas atteindre plus de 20% car les fibres déjà utilisées étaient plus courtes. Si elle avait été composée d'un plus grand pourcentage, le résultat aurait été une matière peu solide et sujette aux bouloches. Il y avait donc de la place pour l’innovation.
Fort de ce savoir-faire, et voulant mettre en avant cette matière perdue. Fabrice, son père et son oncle se sont lancé le défi de créer un fil 100% recyclé. Ils ont travaillé 3 ans pour créer une machine à défibrer, avant de s’allier pendant une dizaine d’années avec des ingénieurs italiens pour parfaire et breveter leur invention. C'est grâce à eux que l'on peut vous proposer des baskets éco-responsables en laine !
Secret de survie : ne jamais baisser les bas.
Fabrice nous confie que prendre le pari du recyclé mais aussi faire des choix et des investissements “couillus” dans des périodes difficiles se sont avérés payants. Par exemple, choisir d’investir dans du nouveau matériel dans une période de déclin est un choix difficile : il faut environ 1 an pour rentabiliser une nouvelle ligne. On comprend donc que c’est un investissement risqué lorsque la santé financière de l’entreprise n’est pas au beau fixe.
Aujourd’hui, la majorité des ventes de la Filature sont des fils recyclés. L’entreprise reste familiale et saine. Lors de période difficiles, il n’y a pas d’actionnaires pour réclamer les bénéfices : “on fait le dos rond et on serre les boulons”.
Fabrice a donc su faire les bons choix, au bon moment. Aujourd’hui, grâce à lui, on peut vous proposer des baskets avec un fil de laine 100% recyclé (ne vous inquiétez pas, on a aussi un choix de baskets vegan) qui sont bien moins impactantes pour la planète.
Un résultat incroyable et responsable
Le meilleur, c’est que ces fils sont aussi résistants que de la laine neuve : lors des tests de boulochage et autres vérifications, ils ont les mêmes cotations et caractéristiques que les fils en fibre vierge. C’est grâce au défibrage que la qualité est là, car c’est comme travailler des fibres neuves.
Proposer de la laine recyclée, c’est une innovation unique, mais aussi écologique. En revalorisant nos vieux vêtements, on évite des enfouissements et des incinérations, mais aussi une nouvelle fabrication (donc la surproduction et la sur-utilisation de produits chimiques ou d’eau pour le lavage et la teinture). Fabrice nous rappelle que ces avantages sont valables pour toutes les matières textile : le coton, par exemple, est très impactant, alors autant le réutiliser (on vous l’expliquait d’ailleurs dans cet article.)
La suite de l’aventure
Le recyclage, un secteur à améliorer malgré tout
Fabrice est plutôt optimiste : la Filature développe de gros volumes, améliore la qualité du travail, et a pour projet d’investir dans de nouvelles machines.
“On progresse tous les jours, on se surprend à sortir des trucs incroyables.”
L’avenir du recyclage textile est prometteur : il reçoit de plus en plus de sollicitations de la part des marques, mais aussi des institutions qu’il avait démarché il y a longtemps, et qui reviennent aujourd’hui pour collaborer avec la Filature Du Parc.
“Les marques ont envie de venir mais doivent avant trouver un collecteur trieur ainsi que toute la chaîne qui se trouve en amont de la filature. Ces étapes sont difficiles à réaliser et prennent du temps.”
L’objectif de Fabrice est de trouver une solution globale où la Filature Du Parc serait le seul interlocuteur pour simplifier la tâche et encourager les entreprises à recycler.
Il y a aussi le côté technique à améliorer. À l’heure actuelle, pour pouvoir recycler un textile, il faut qu’il soit entièrement composé d’une seule matière. Le but de Fabrice est donc d’améliorer les techniques de recyclage, mais aussi d’automatiser le tri de façon performante (couleurs, typologie de produit, composants…). Il faut avoir des machines qualitatives et pouvoir s’assurer de la composition d’un produit. C’est une technologie complexe et il faut mettre des moyens pour la développer.
RECYCL'Occ, un projet ambitieux
Aujourd’hui, Fabrice cherche à réunir tous les acteurs du textile et du recyclage. Il en est convaincu, perfectionner le recyclage sera salvateur : “Si on arrive à faire ça, on règlera 70% des déchets”.
Pour se faire, avec 80 acteurs du textile Tarnais, il a créé RECYCL'Occ. Des collecteurs primaires, en passant par la Filature, les usines de teinture, de tricotage, de tissage, les confectionneurs ou les marques, le but est de valoriser le recyclage et d’innover pour qu’il soit encore plus efficace. Du rapiéçage à l’upcycling en passant par le retour à la filature, toutes les solutions sont envisagées.
“Il faut trouver une solution pour industrialiser le recyclage car on pourra mettre plus de textile sur le marché, d’une meilleure qualité et moins chers parce que le coût de production baissera.”
Recyclocc démarche les grandes métropoles d’occitanie (Toulouse, Montpellier, Perpignan…) pour former les gens qui travaillent dans les métropoles. Le but est de récupérer leurs objets pour les recycler afin de montrer que, même si le recyclage coûte plus cher aujourd’hui, il permet de valoriser des emplois : “on crée de la richesse localement sans abîmer l’environnement, donc au global c’est plus rentable.”